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Les orgues de la région de Bouxwiller
Pfaffenhoffen, église protestante
"Premier orgue" d'Albert Schweitzer;Instrument resté totalement authentique
Pfaffenhoffen, l'orgue Dalstein-Haerpfer de l'église protestante.Toutes les photos de la page sont de Martin Foisset, 11/03/2018.Pfaffenhoffen, l'orgue Dalstein-Haerpfer de l'église protestante.
Toutes les photos de la page sont de Martin Foisset, 11/03/2018.

Cet instrument de 1887 a une grande importance historique. C'est ici que, vers 1890, Albert Schweitzer découvrit l'orgue. Et aussi la qualité du travail des facteurs lorrains Dalstein et Haerpfer. Par la suite, il allait activement promouvoir leurs orgues et leurs projets.

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Historique

L'orgue Dalstein-Haerpfer, opus 75 de la maison de Boulay, a été livré à Pfaffenhoffen en 1889. [IHOA] [PaysAlsace89]

C'est le premier orgue de l'église protestante : un projet pour remplacer l'ancienne église "mixte" de Pfaffenhoffen avait été initié dès 1853. Les travaux de construction du nouveau temple, sur le site de l'ancien "Grafenhof" (résidence du comte), ont duré de 1882 à 1885. L'inauguration eut lieu le 06/09/1885. Celle de l'orgue (spécialement commandé pour le nouvel édifice) ne tarda pas : 22/04/1889. [PaysAlsace89] [WebMahler]

L'histoire liant Albert Schweitzer et Pfaffenhoffen a été racontée par Georges Klein. Elle commence avec Philippe Chrétien Schweitzer (le grand-père d'Albert), qui devint instituteur, puis maire de Pfaffenhoffen (1875-1886). Après ses études, c'est à Pfaffenhoffen qu'Albert prononça sa première prédication. [PaysAlsace89]

Dans une lettre signée à Lambaréné le 06/11/1956, Schweitzer relate ses souvenirs de ce qui fut probablement son "premier orgue" : "L'orgue de l'église que mon grand-père a construite était en son temps célèbre. Les deux Munch, celui de Strasbourg et celui de Mulhouse, l'ont visité et en ont fait l'éloge. Le facteur en était Haerpfer de Boulay qui avait travaillé chez Cavaillé-Coll à Paris. L'instrument a des qualités remarquables et mérite d'être conservé tel qu'il est. La sonorité est de beaucoup supérieure à tout ce qui se construit aujourd'hui. La première fois que j'ai joué cet orgue vers 1890, j'étais émerveillé de sa sonorité suave." [PaysAlsace89]

Philippe Chrétien Schweitzer était également trésorier de la paroisse, ce qui explique "l'église que mon grand-père a construite". Les "deux Munch, celui de Strasbourg et celui de Mulhouse" sont Ernest (1859-1928, organiste à Strasbourg, St-Guillaume, et fondateur du chœur) et Eugène (1857-1898, organiste à Mulhouse, professeur d'orgue de Schweitzer, et père du chef d'orchestre Charles Munch).

Par "ce qui se construit aujourd'hui" (donc en 1956), il faut comprendre le virage pris par l'esthétique néo-classique vers le néo-baroque, tendant à basculer exagérément l'orgue vers l'aigu, en multipliant les "petits jeux" au détriment des fondamentales. Schweitzer, au début du siècle, militait pour une plus grande présence des Mixtures, afin d'accroître la lisibilité polyphonique ; mais le caractère totalement exagéré que prenait la facture d'orgues à l'arrivée des années 1960 ne lui plaisait donc pas. On le comprend !

Georges Klein conclut ainsi son article de 1989 : "Albert Schweitzer revint encore à plusieurs reprises, mais pour de courtes heures, à Pfaffenhoffen, mais malgré ces apparitions brèves, il trouva toujours le temps de voir ses chères orgues et de jouer rapidement quelques extraits de Bach sur cet instrument qu'il affectionnait tant." [PaysAlsace89]

Il y a une chape vide au récit (et un tirant blanc à la console), à l'évidence pour une Voix céleste, qui ne fut jamais posée. [Visite] [ITOA]

L'orgue Dalstein Haerpfer de Pfaffenhoffen ne semble pas avoir nécessité de travaux d'envergure pendant presque 100 ans, ce qui témoigne de la qualité de la facture. Les seuls éléments qui ne sont pas d'origine sont probablement la façade (remplacée après les événements de 1917) et le ventilateur électrique (mais le système de pompage manuel a été conservé).

En 2010, Rémy Mahler effectua un relevage complet. Les travaux ont compris le remplacement du ventilateur électrique. [WebMahler] [IHOA]

Suite à ces travaux, l'orgue a été inauguré le 10/10/2010 par Kristiaan Seynhave (Bruxelles) : Bach, Mendelssohn, Prière de Franck et une "Phantasia" de Lizst ("Ad nos, ad salutarem undam" ?). [WebMahler]

Le buffet

Le buffet est en chêne, de style néo-roman (assorti à l'édifice). Il est constitué de trois tourelles plates, surmontées de tympans, encadrant deux plates-faces doubles. Il n'est pas surchargé d'ornements (dans un orgue Dalstein-Haerpfer, tout est avant tout au service de la tuyauterie !), mais on trouve quand même des frises crénelées et des petits pinacles, accentuant le caractère éclectique du dessin. Les tuyaux de façade, en étain, sont tous munis d'un écusson rapporté. Postérieurs à 1917, ils sont de belle facture, cohérente avec les éléments de 1889.

Caractéristiques instrumentales

Composition, 2018
Grand-orgue, 56 n. (C-g''')
Sapin, puis c''-g''' en métal
c''-g''' octaviants et métalliques
c''-g''' à cheminées
2'2/3 et 1'3/5 dans les basses : rang 8' à cheminées sur c''-g'''
c'''-g''' harmoniques
3ème cuiller à accrocher
Récit expressif, 56 n. (C-g''')
(Chape vide)
Pédale, 27 n. (C-d')
I/P
1ère cuiller à accrocher
2ème cuiller à accrocher
4ème cuiller à accrocher
5ème cuiller à accrocher
[ITOA] [PaysAlsace89] [Visite]
Console:
La console, sur laquelle Albert Schweitzer fit ses premières gammes.La console, sur laquelle Albert Schweitzer fit ses premières gammes.

Console indépendante face à la nef, fermée par un couvercle basculant. Tirage des jeux par tirants de section ronde, à pommeaux tournés munis de porcelaines, et disposés en trois gradins, de part et d'autre des claviers. Les jeux du grand-orgue sont à gauche (curieusement avec des porcelaines roses, alors que d'autres facteurs préfèrent le blanc pour repérer ce plan sonore). Les jeux du récit (fond bleu) et de la pédale (crème) sont à droite. Les gradins ont un chanfrein arrondi convexe noir. Claviers blancs. Frontons du récit biseautés.

Commande des tirasses et de l'accouplement par trois pédales à accrocher, situées à gauche (non repérées, mais il y a des traces pouvant correspondre à des porcelaines perdues) : ordre des pédales de gauche à droite : I/P, II/P, II/I, Comb. Piano, Comb. Forte. Ces deux pédales de combinaisons fixes appellent chacune un groupe de jeux. Ce sont des pédales à accrocher, indépendantes, et non un système appel/retrait comme on les trouve parfois. La pédale basculante de l'expression du récit est tout à gauche (au-dessus du g du pédalier). [MVonau]

Contenu de la combinaison "piano" :
G.O. : Principal 8’, Gedeckt 8’, Viola di Gamba 8’, Octav 4’
Réc. : Lieblich Gedeckt 8’, Salicional 8’
Péd. : Subbass 16’ [MVonau]

Contenu de la combinaison "forte" :
G.O. : les 4 jeux précédents, plus : Bourdon 16’, Flöte 8’, Octav 2’
Réc. : les 2 jeux précédents, plus : Geigen Principal 8’, Traversflöte 4’
Péd. : la Soubasse comme précédemment, plus : Violonbass 16', Violoncello 8’ [MVonau]

Cela confirme que, dans l'esprit de la composition, les jeux harmoniques (la Flûte 8' du grand-orgue et la Flûte traverse du récit) sont une deuxième étape du crescendo. L'anche et la Mixture, non présents dans la registration "forte", en sont l'étape ultime (et on ne tire la Mixture, qui est plus forte que la Trompette, qu'à la toute fin, quand on a mis tout le reste). Accouplement et tirasses, mécaniques, ne sont pas "programmés" par les combinaisons. Une étape intermédiaire dans le crescendo (avant l'appel "forte") consiste à mettre l'accouplement des claviers. Vu qu'il n'y a pas de 8' à la pédale, une tirasse est systématique. La combinaison "piano" est probablement conçue pour être jouée avec la tirasse récit.

Pédalier plat (et plutôt large...), banc aux flancs en forme de lyre mais non ajourés. L'intégralité de la console est d'origine.

Plaque d'adresse en lettres de laiton incrustées, située en haut et au centre de la console, et disant :

DALSTEIN&HAERPFER
Orgelbauer
BOLCHEN (LOTHRINGEN)
Op.75.
Transmission:

Mécanique (grand abrégé au revers du soubassement).

Sommiers:

Les sommiers sont à cônes, et diatoniques. Le grand-orgue a les basses au centre. Le récit est logé dans deux boîtes expressives (une de chaque côté). La pédale est placée à l'arrière, contre le mur, certains tuyaux commençant dans le soubassement.

Vue de dessous du sommier de grand-orgue.La vergette (reliée à la touche du clavier par des équerres) fait basculerun balancier qui soulève une réglette (horizontale rouge) poussant un piston pour chaque tuyau.Vue de dessous du sommier de grand-orgue.
La vergette (reliée à la touche du clavier par des équerres) fait basculer
un balancier qui soulève une réglette (horizontale rouge) poussant un piston pour chaque tuyau.

Contrairement aux sommiers dits "à gravures", où une soupape est commune pour les tuyaux des jeux du sommier donnant la même note, la mécanique soulève ici une longue règle qui enfonce autant de petits pistons qu'il y a de tuyaux pour la note. Il n'y a pas de registre sous le tuyau : le jeu entier est alimenté - ou pas - selon la position du triant à la console. L'alimentation finale reste donc indépendante pour chaque jeu, ce qui est un avantage déterminant : pas d' "effet de gravure" (capture du vent d'un jeu par un autre, et création de turbulences). Il est aussi aisé, si on le souhaite, d'alimenter chaque jeu spécifiquement. L'ensemble agissant sur des éléments (les cônes) de petite section, la résistance due à la pression est limitée (Force = Pression x Surface).

Il est fort regrettable que ces solutions simples et efficaces ("Registerkanzelle"), directement dictées par les bases de la mécanique des fluides (et le bon sens) soient aujourd'hui négligées par les facteurs d'orgues (et surtout leurs commanditaires). Sûrement sous le curieux prétexte qu'au 18ème siècle, seuls les sommiers à gravures étaient connus. (Pour une restauration d'un orgue du 18ème, évidemment, le sommier à gravures s'impose.)

Les sommiers à cônes, comme les sommiers à membranes (pneumatiques), ont été une réelle avancée dans la facture d'orgue : ils permettent une plus grande souplesse dans l'harmonisation, parce que tous les jeux d'une même note ne partagent pas une alimentation commune (la gravure), et n'influent donc pas les uns sur les autres. Une telle solution devrait être - au moins - envisagée pour tous les orgues neufs, alors que, souvent, le sommier à gravures "va de soi"... car de nombreux facteurs ("spécialisés" dans le 18ème suite à la vague néo-baroque) n'ont tout simplement plus les compétences nécessaires pour construire les autres types de sommiers.

Soufflerie:

Deux réservoirs à plis. Ventilateur de 2010. Le système de pompage à bras (levier) a été conservé, sur le côté gauche du buffet.

Tuyauterie:

De très belle facture. La tuyauterie métallique est en étain, les basses en sapin. La façade est en étain (comprenant des tuyaux des Principaux 8' et 4' du grand-orgue). Les tuyaux métalliques sont marqués à la pointe sèche. Entailles de timbre et calottes mobiles systématiques. Dans les basses, nombreuses bouches arquées.

Une vue sur la tuyauterie du grand-orgue,côté gauche (façade vers le haut de l'image).De haut en bas : le Principal 8' (on distingue les postages de la façade), le grand Bourdon 16', la Gambe, la Flûte octaviante,le Bourdon 8', le Principal 4', la Doublette,la Mixture-Cornet (3 tuyaux par note à gauche, puis 5 dans les aigus),et la Trompette, tout en bas. A droite, une des deux boîtes du récit.Une vue sur la tuyauterie du grand-orgue,
côté gauche (façade vers le haut de l'image).
De haut en bas : le Principal 8' (on distingue les postages de la façade),
le grand Bourdon 16', la Gambe, la Flûte octaviante,
le Bourdon 8', le Principal 4', la Doublette,
la Mixture-Cornet (3 tuyaux par note à gauche, puis 5 dans les aigus),
et la Trompette, tout en bas. A droite, une des deux boîtes du récit.

Bien entendu, une fois à la console, il est toujours un peu intimidant de jouer à la suite de Schweitzer. L'orgue étant resté authentique, la "magie" opère totalement. Idéalement assorti à son édifice, cet instrument est bien plus "historique" que de nombreux orgues plus anciens. Un témoin émouvant d'une époque où musique, foi, médecine et philosophie s'associaient pour créer un humanisme spécifique et lumineux.

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Immatriculation de l'orgue actuel : F670372002P01
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